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Victor

Extraits de carnet, Hampi.

July 13, 2010 - Victor

Le reveil sonne au petit matin. Encore endormi, je souleve d’un bras la moustiquaire qui forme une tente flasque au-dessus du lit. Simon se brosse deja les dents a la lumiere orangee qui filtre depuis la porte de la salle de bains. Courage… Un pied hors du lit. Encore un, et je m’habille dans des baillements reprimes.

On descend a pas feutres les marches de l’auberge. La nuit est encore douce, le ciel d’un noir que l’aube n’a pas eclairci. Les rues ne sont pas si desertes: une ombre matinale surgit de ci-de la, furtivement… dans l’encadrement d’une porte, balaie une entree, part au travail.

Sur le flanc du grand-temple, les boutiquiers n’ont pas d’autre choix que de s’envelopper de draps tels des chrysalides et de reposer la, au sol, devant la minuscule niche qui constitue leur echoppe. Nous rencontrons non loin les premiers travailleurs. Dans l’obscurite, une toute petite vieille dame me tend un the au lait bouillant, sorti d’un des casseroles fumantes de son chariot-cuisine.

Celui-ci est la premiere etape pour toutes les familles qui sommeillent encore le long de la rue rectiligne face a l’entree majestueuse du temple. Ils fuient ainsi la chaleur etouffante des logis aux toits de tole ou de branches de bananier empilees; et que leur importe si la pluie tombe !

Ainsi nous traversons ce village endormi, sous la lumiere edentee d’un rare eclairage  public. On grimpe, sous les premieres traces de l’aurore, par des chemins de rochers et d’escaliers seculaires, dans une voltige nocturne vers le sommet de la colline de Matanga. Nous connaissons le chemin. Tourne encore a gauche, dans la penombre du sanctauaire abandonne au sommet: de la, l’escalier debouche sur le toit.

De cette terrasse qui embrasse l’horizon entier, le vent remonte les pentes rocailleuses et emplit tout ce que nos vetements peuvent se gonfler d’air frais; assis sur le bord cette terrasse, face au precipice rocheux sous nos pieds, nous laissons la lueur changeante modifier le decor a chaque instant, en reveler toujours plus de parties assoupies. Dans notre regard baisse, la  silhouette pyramidale du temple Virupaksha se dresse, constante et majestueuse dans ce decor en eveil.

Il est temps de redescendre. La ville s’etire a present, bien que les policiers en uniforme, tres fiers sous leur moustiquaire, ronflent encore sur le pave qui jouxte le poste. Des femmes balaient soigneusement le sol terreux et inegal a l’aide d’une botte de joncs, tracent a la poudre de riz un kolam de prosperite sur le pas de leur porte, arrosent ce dernier de poignees d’eau.  Certaines crachent deja le jus rouge des feuilles de betel qui, machees tout au fil du jour,  leur tacheront irremediablement les dents. Des rickshaws somnolents  emmenent les plus matinaux des clients a travers les routes bordees de canne a sucre et de bananiers, surement deja encombrees de troupeaux, de chariots a boeufs multicolores.

[...]

A la nuit tombante, nous sommes juches sur un rocher au bord de la riviere. Silencieux, ou presque. Dans ce decor qui appelle irresistiblement a la reverie ou la peinture, les chauve-souris les plus affamees virevoltent deja autour de nous dans de discrets bruits de papier froisse, attrapent le trop-plein d’insectes qui se s’enhardissaient deja de la chute du soleil.

Ce soir, c’est Puja. De la musique s’eleve de la cour du temple dont on se rapproche, plus proche et pressante a chaque pas. Retirant a la hate nos chaussures, nous penetrons dans la cour du fond, la seconde et la plus sacree. La, un clarinettiste, des trompettes et des tambours emettent la musique puissante et envoutante, aux accents d’Orient, qui nous a guides.

Un pretre, torche enflammee au point, sort energiquement du sanctuaire et se dirige vers un bien etrange ensemble qui trone au coin de la cour. Un boeuf en metal brillant d’un eclat argente, surmonte d’une grande feuille de lotus lumineuse, se fait tres ceremonieusement couronner de milliers de fleurs tressees en collier. La feuille de lotus s’illumine telle une guirlande de noel, ornee d’ampoules de couleurs differentes qui alternent leur travail.

Le boeuf est lui-meme pose sur un socle qui comprend le groupe electrogene a essence necessaire pour la guirlande; ce socle est fixe a deux longues poutres que vingt hommes soulevent d’un coup, sur ordre des pretres en cordelette et pagne blanc; il est commande a tous de sortir, immediatement.

Ce n’est pas une sortie, non: une ruee joyeuse vers l’entree de toute la foule, a travers le goulet de la porte, sur les talons d’un elephant qu’ils viennent de faire sortir par un autre cote qui avait echappe a mon attention. Et toute cette troupe mystique et vivante, pieds nus, sort dans le vacarme enchanteur des musiciens.

Imagniez… ! Un elephant pataud et peinturlure en tete, dans cette nuit aux odeurs d’epice et de terre, d’encens et de sueur, un cortege de saris, de tuniques de pretres et de flammes; ce boeuf sitot divinise, porte en hauteur dans les petarades du groupe electrogene; imaginez les enfants qui tapent de joie dans les mains, courent a travers les jambes de tous, jouent a cache-cache dans nos pantalons. Voyez, enfin, dans cette image deja dense et chargee de personnages, de couleurs, des rickshaws se frayer un chemin a grands coups de klaxon, des feux d’artifice amateur tires a l’aleatoire, que la simplicite rend si particuliers et qui ravissent tous a chaque arret.

Cette journee n’a pas existe. Elle n’est que le condense de differents instants vecus a Hampi qu’il me tenait a coeur de raconter, pour rendre justice au lieu qui merite que je m’y attarde plus et autrement que par des photos; c’est aussi pour moi, qui tache de laisser une trace ecrite de ces impressions. J’espere ainsi ne pas oublier…