Lotus bleus, sous les pins.
July 10, 2010 - Victor
J’ai fait une erreur. Je n’aurais pas du aller si tot faire une sieste avec la machinerie d’ascenseur pour voisine, dans un immeuble de bureaux. Je suis a Sapporo, le chef-lieu de cette ile du Nord du Japon qu’est Hokkaido. Le technicien qui me tire de ma sieste est hilare, il me croit surement ivre. Tant pis, me dis-je en sortant, il me faudra simplement faire un petit reperage et trouver un endroit plus tranquille ou poser mon matelas. Petite lecon sur les differents moyens de dormir dehors au Japon.
Je me faufile comme une ombre dans des ruelles mal eclairees. Trouver un de ces buildings japonais avec cage d’escalier exterieure. La premiere facon de dormir a la belle etoile au Japon sans se faire deranger, c’est de denicher un de ces escaliers qui avec un peu de chance, vous menent tout droit au toit -plat- sans vous barrer la route a mi-chemin. Puisque la technique a deja maintes fois ete eprouvee l’an dernier, je sais qu’il ne faut guere plus de trois ou quatre essais pour y parvenir.
La voici, la perle rare: a deux pas de la gare de surcroit. La barriere au rez-de-chaussee est opportunement ouverte, et l’on a une belle vue sur la ville; un toit couvert au dernier etage. Un palace ! Pas de betises cette fois, Victor: une fois l’endroit repere, attendre minuit pour debouler avec le gros sac, et repartir tot. Aucune envie qu’un voisin me trouve la.
Seconde methode ! Lorsque j’arrive a Hokkaido, la pluie bat son plein. Je me refugie dans un manga-kissa de Sapporo. Il s’agit d’un cyber-cafe, communement ouvert toute la nuit, avec tout un tas de services annexes: boissons gratuites a volonte, nourriture, douches et bien entendu, mangas -les BDs japonaises- en libre service.
Je me choisis pour les six prochaines heures une cabine individuelle avec ordinateur et lit (!). Les prix sont imbattables par rapport a ceux d’un veritable hotel au Japon; de plus on y profite d’Internet est a volonte, ce qui est bien agreable. Cependant, j’ai encore commis une erreur.
6 heures, c’est ridicule. Cela me force a m’extraire de ma douillette cabine a 5 heures du matin. Evidemment, il pleut encore. Je place tout de suite mon enorme sac en consigne automatique -ca aussi, ce que ca peut etre pratique, vivement que cela revienne en Europe- a la gare et… j’attends. On n’est pas en Chine, ici: aucun signe de vie avant neuf heures du matin.

En haut a droite, la meilleure coquille saint jacques que j'aie jamais mangee de ma vie. Il y a aussi du crabe des neiges poilu.
En Occident, on retient souvent cette image du salary man japonais en costume, qui se presse contre d’autres dans le metro de bonne heure pour se rendre au boulot, maree de cravates et de chemises blanches sur les trottoirs. Oui mais ca, c’est aussi vers neuf heures. L’an dernier, j’ai bien vite cesse de venir a mon travail au Japon a huit heures trente, sauf lorsque je voulais etre seul. Par contre, le soir, on peut rester assez tard.
Bref, j’attends sous un preau tel un clochard detrempe, que le jardin botanique municipal ouvre ses portes. Et meme sous un deluge qui acheve presque mes vaillantes pompes chinoises, l’endroit demeure magnifique.
Des forets canadiennes en miniature on passe a un jardin de roses superbes et odorantes; certaines portent le nom d’une personne, par exemple J.F.Kennedy, voire celui d’illustres inconnus dont le nom, si ce n’etait pour baptiser une fleur, serait tombe dans l’oubli. C’est beau, de donner son nom a une rose…
Suivant les etangs garnis de lotus on arrive a une serre qui me replonge dans les forets de l’Ile de la Reunion. Les souvenirs ont beau remonter a ma tendre enfance, les revoila: bougainvillees, fougeres arborescentes ou non, lauriers tropicaux, papayers… Ils ont meme la des plantes etranges, parterre de trefles a quatre feuilles, etangs couverts de lotus bleus… et devant l’entree, de troublants pins, car bleus egalement.
Deuxieme etape: la brasserie Sapporo, qui fabrique la biere du meme nom. Et ils ont d’ailleurs la quelques millesimes vendus uniquement sur l’ile, delicieux: la Black Yebisu par exemple. Note a la famille: je ne bois pas particulierement trop, je sacrifie au tourisme dans ce cas precis ! Au nom du tourisme encore, je dejeune au meme endroit de la specialite de Hokkaido, le jingusu kan -Genghis Khan- qui se trouve etre un simple barbecue de mouton, mais attention ! On trempe les morceaux de viande dans une sauce de composition secrete…
Bon, c’est pas tout ca, mais il faut encore trouver a s’occupper avant minuit; sinon, comme plus haut, on se retrouve a dormir trop tot dans une cage d’escalier. D’ou une parenthese: comment tuer le temps quand on est seul et sans le sou au Japon.
La premiere, c’est simple, c’est les musees. Cela fait decouvrir des choses (si, si !) , c’est plus rentable en temps/argent et excusable que se pointer avec un boisson dans un parc. Et ca tombe bien, les japonais ont des musees a tout propos ! Je pense a ce fameux musee des Locomotives a Vapeur et du Piano, a Kyoto… Du coup, les musees, j’en ai soupe.
Musee de la culture ainoue -un peuple indigene d’Hokkaido persecute par les Japonais, avant qu’on ne realise leur interet touristique- pour commencer. Costumes, peignes, sacs, chaussures, … C’est a croire, d’apres le musee, que ces gens-la fabriquaient tous leurs objets quotidiens avec des cranes d’animaux, de l’ecorce de bouleau tressee et trois crottes de nez. Interessant.
Musee de Litterature de Hokkaido -absolument rien compris, tout etait en japonais-, musee du Saumon meme, en dernier recours et au fin fond de la ville, pour apprendre avec mes amis les ecoliers a casquette de couleur les cycles de reproduction de ce super poisson. Sacre programme.
Avec tout cela, il me reste encore de trop longues heures a ne rien faire avant la nuit. Du coup, vous allez me suivre pour que je vous montre a quoi ressemble une galerie commerciale typique au Japon, que toute ville qui se respecte se doit d’avoir: la Teramachi a Kyoto, par exemple, Shinsaibashi a Osaka, et des milliers a Tokyo Reportage photo.

Un pachinko, le jeu avec des billes en metal qui fait fureur au japon, pue la clope et fait un bruit monstre.

Les magasins d'omiyage, des souvenirs en forme de pates sucrees pas terribles, mais ca remplace les cartes postales. Chaque lieu se doit d'en trouver une recette propre.
Entrons dans un grand magasin de fringues, facon Tokyu Hands ou Shibuya109 pour Tokyo, et se familiariser avec les nouvelles tendances ultra colorees de la mode japonaise. La palme au tout-en-un, les combines t-shirt-chemise ouverte-cravate flashy-collier cousus tout ensemble: un style terrible d’entree de jeu. Je m’attarde au sous-sol: le rayon des poupees, de la plus sexy a la plus provocante. On peut les habiller soi-meme avec tous les accessoires du monde, et les deshabiller apres bien entendu. Et il y a plein de jeunes bizarres qui tournent dans les rayonnages.
Quoi d’autre ? Si on en a l’occasion, une bonne facon de tuer le temps est de profiter d’un onsen, ou un spa. Le second est un bain public classique: on y trouve des douches, bassins chauds ou froids, un sauna avec un peu de chance; le premier est de plus alimente par des sources chaudes naturelles. Pour cela, il vaut mieux se trouver dans une ville dont le nom se termine par -onsen, signe qu’elle a ete construite plus ou moins sur des sources thermales.
Je passe plus de trois heures -oui, faut bien rentabiliser- dans celui du Grand Hotel de Noboribetsu Onsen -encore un nom a coucher dehors- au coeur des montagnes, a me prelasser dans des bains de soufre, de fer et de sel venus du lac bouillant de la caldeira volcanique voisine, jusqu’a ce que ma bague jaunisse. Je me recure avec tout ce que l’hotel cinq etoiles a a offrir: nettoyage en regle des oreilles, des dents, rasage de precision, rabotage des peaux mortes. Double jeu: me laver suffisamment pour rattraper 3 jours de salete et prendre de l’avance pour apres et cerise sur le gateau, perdre 500 grammes avec la sueur des bains.
Enfin, si disponible, on peut visiter les lieux d’attraction a la japonaise, temples hantes par des chats, spectacles de ninjas, feux d’artifice, theatre de geishas, fosse aux ours bruns, dits higuma. Il se trouve tout de meme deux francais dans ce paroxysme de trou perdu qui maximise 200 habitants -ils doivent souffrir, coinces la bas pour six mois- pour me prevenir d’eviter de dormir dans le bois, la faute aux ours. Tant pis, plan B, je dors dans le minuscule sanctuaire de la ville. C’etait la troisieme facon de dormir ! Tout de meme ces francais-la, apres l’aperitif, ils auraient pu me laisser poser mon duvet sur le sol de leur chambre… Pas grave, c’est meilleur pour l’aventure.

Clin d'oeil: ils se sont dits que mettre des ratons-laveurs dans une cage a cote des ours, ca peut interesser des gens. Got the point.
Et… quand on n’a VRAIMENT plus rien a faire, reste a se poser sur un banc, attendre. Ca fait deja bien longtemps que mes bouquins sont epuises. Attendre et fumer. Le reste coute trop cher.
Je me comprends. A tous ceux qui veulent voyager pas cher au Japon: si, c’est cher. Je ne parle pas des hotels. Avec comme budgets: transports d’abord, puis nourriture. Parler japonais, ca sauve un ou deux euros parfois, pas plus. Quand on repere les offres moins couteuses, lorsque l’on a pas besoin d’intermediaire. Voila. Donc pour moi cela donne du 30 a 50 euros par jour, sans luxe.
Bien sur, je me suis fait plaisir, sur le bon dos du tourisme en general: l’onsen du Grand Hotel, le Jingusu Kan, le parc aux Ours… Qu’ai-je fait comme veritable extra ? Disons… deux, trois bieres; une bouteille de whisky; un restaurant de sushis. Eh, on me reconnait bien la me direz-vous. Mais alors la, stop ! Je passe au banc des accuses, et je me defends.
Les bieres, en vente a Hokkaido uniquement. La Sapporo Classic, excellente, pas chere et qui aide franchement a passer le temps quand on est colle sur un pave pour huit bonnes heures. Et attention, ca vient du supermarche, je me suis pas non plus permis le luxe d’un bar !
La bouteille de whisky… du Nikka de Yoichi, la meilleure distillerie du pays. C’est une toute petite ville du bord de mer, dont le whisky est frequemment cite et recompense a l’international. Eh bien cette bouteille de Single Cask 10 ans d’age, la plus ridiculement petite que j’aie pu trouver (18cl), n’est en vente qu’a cette distillerie, precisement. Ce qui ne l’empeche pas d’avoir ete cite meilleur whisky du monde par Whisky Magazine en 2001. Par ailleurs, la distillerie est incroyable: que la brasserie Sapporo en prenne de la graine ! Impeccablement tenue, des batiments superbes dans un style resolument irlandais moderne, on y voit les ouvriers brasser le malt et enfourner de la tourbe dans les grills, avant de profiter de degustations gratuites dans un superbe cadre; le tout est servi par des explications et des videos en anglais aussi: bonheur !
Enfin: un restaurant de sushis. D’accord, j’ai craque, mais ce que c’est bon ! Je me defends une derniere fois. Debarque a ce petit port de peche qu’est Otaru, accessoirement terminal de mon ferry de retour comme d’aller, j’ai fait la demarche de demander a l’office du tourisme le kaiten-sushi (sushis tournants sur une ceinture) le moins cher de la ville, et m’y voila. Eh bien, c’est le meilleur que j’aie jamais mange, tout simplement. Alors voila qui valait la depense, surtout quand on ne se met sous la dent que des plateaux repas de superette depuis une semaine.
A force de parler de sous, vous avez remarque, je vous ai encore raconte pas mal de choses ! Et pas tout, encore. J’oublie le veritable fil conducteur, le liant de toutes ces balades au Japon: le chocolat. Enveloppe dans une tranche de pain de mie, une simple barre de chocolat. Qui pour moi a un gout de lointaines vacances en Bretagne. C’est avec lui que je me calme la faim, a tres peu de frais, devant les puissantes falaises qui plongent dans une mer bleue et pure, sur la cote de Muroran. Si pure que les minuscules embarcations des pecheurs ne font que tendre la gaffe ou l’epuisette pour attrapper coquillages et crabes des neiges -un enorme crabe poilu- a vue, sur les bas-fonds.
Etretat a la japonaise, couvert d’une lande qui hesite entre les bambous nains et la bruyere. Un endroit absolument magnifique, et d’un calme souverain, si ce n’est le vent qui emplit les narines de sa fraiche odeur d’embruns, et les cris rieurs des mouettes qui croisent en contrebas.
C’est encore dans ce chocolat que je croque, au coucher et lever du soleil, sur les bords du lac Toya. Ce lac si beau que le G8 y a tenu son rendez-vous en 2008. On s’y promene par des sentiers truffes de vestiges de l’ancienne ville, detruite par les eruptions des volcans tout proches; un beau jour, des crateres se sont ouverts sous les immeubles, et la ville a disparu. Reste un decor de zone bombardee, ou la nature a repris ses droits… La, pas de chance, mon camping est desaffecte, je vais dormir sur la greve. Ce n’est pas si desagreable…
C’est un vieux japonais qui me tire de mon mutisme. Une semaine tout seul, ca laisse le temps de desapprendre la conversation… Des le premier jour, je me parle tout seul. Je ris, je pleure meme parfois -non, ca non; comme disait ma grand-mere, les grands garcons, ca ne doit pas pleurer…- et commente tout a haute voix. Je crois que le cerveau a besoin de support pour fonctionner, pour faire avancer une pensee. Je viens de passer deux heures visse sur le beton a attendre mon ferry, terminal en vue, face a la mer; encore trois a patienter. Alternant silences et paroles, je discute avec mon vieux, epuisant petit a petit tout ce que je suis capable de dire en japonais et que le bateau apparaisse sur le quai. C’est rare, un interlocuteur aussi patient, surtout avec le massacre grammatical auquel je me livre !
Des regrets ? Deux principalement. De n’avoir pas eu assez d’argent pour visiter l’extreme Nord de l’Ile, sauvage, le detroit d’ou l’on apercoit les iles Sakhaline et ou les baleines font coucou a l’horizon: Wakkanai. Le second, d’avoir mange un plateau repas de superette au lieu de gouter a un bon gumbo de la Nouvelle Orleans, dans le seul restau « du bayou » que j’aie vu au Japon: c’est a Sapporo. Un oubli, et c’est dommage: c’est pas avec Katrina, la maree noire de BP et le suicide des petits vieux ruines par la crise que je me pointerai de sitot dans la Louisiane authentique !
Et maintenant, la devenue traditionnelle session photo bonus !

Au debut, on vendait l'aspect traditionnel, retrouvailles en famille...

Un peu plus tard, les japonais comprennent que la biere, c'est pratique pour les nomikai (lourd apero entre collegues)

Faisons le tour des bebetes bizarres, ici dans un temple animiste...
Toutes mes excuses pour ce post-fleuve, rempli de beaucoup trop de texte et de photos. Je decouperai mieux tout ca a l’avenir: ne serait-ce que pour moi, histoire de ne pas re-passer plus de 20 heures a l’ecrire ! Merci d’avoir tenu jusque la -ou pas-; puisque j’ecris ceci du milieu de l’Inde, vous aurez la joie de decouvrir tout ca des la prochaine fois !