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Victor

Amul Xaalis

August 11, 2008 - Victor

Peu après l'épisode de la pastèque, si pauvre en goût malgré son mois d'attente au fond de notre chambre, Arona nous convie à découvrir son quartier avec des yeux d'autochtone.

Un tour chez les femmes transformatrices de poisson ( consistant à les vider, les saler dans de grands bacs de saumure puis à les laisser sécher au soleil ) puis nous visitons les petites rues, qui comme la plupart des grandes, ne portent aucun nom. Juste un numéro, les noms étant réservés aux artères de l'Île. Nous passons dans la maison de Rabiyatou, une des élèves du groupe de débutants.

Appareils photo sortis, nous mitraillons ces endroits, qui ne se dévoilent généralement pas à l'objectif du premier blanc venu. Ici, les photos "volent de l'âme", ou du moins est-ce le prétexte avancé pour garder au quartier son intimité - ou obtenir un peu d'argent. Deux choses quelque peu étonnantes ressortent de cette visite. Tout d'abord que de nombreux mots n'existent pas en Wolof, signe de l'imprégnation culturelle artificielle du colonialisme. Les mots école, informatique, mairie, consul, secrétaire, ... et bien d'autres certainement plus révélateurs, se distinguent clairement dans les conversations. L'autre chose est qu'il est extrêmement rare de voir un des milliers d'enfants d'ici pleurer. Tout le monde est joyeux, tout le monde court et s'amuse, joue avec des cerceaux que l'on pousse - jeu que je n'ai croisé auparavant que dans un livre sur le moyen-âge.

Nous en profitons pour demander à Arona la signification des faces tatouées ici sur la plupart des facades et véhicules. De ce que j'en comprends, il s'agit de prophètes, de meneurs de différentes interprétations de l'Islam, dont le plus grand semble ici être un certain "Touba". Je devais apprendre plus tard des précisions importantes à ce sujet. Auprès des marchands du village artisanal, tout d'abord, où nous sommes retournés hier sans que je veuille leur acheter quoi que ce soit. Une fois leurs ardeurs marchandes apaisées, nous avons discuté religion et autres sujets ( ! ) autour d'un thé traditionnel, c.a.d au feu de bois, assis sur des pierres.

Plusieurs de ces marchands se réclamaient "fanatiques" d'un certain courant de l'islam, les mourides. Ils m'expliquent leur théorie de la tolérance de tout et de tous, leur polygamie, leur dévouement absolu au Cheikh - le guide spirituel des mourides - leurs projets d'avenir, et leur ville sainte, Touba. Je me renseigne sur la champ.

Touba existe effectivement, 150 km à l'est de Dakar. Fondée il y a environ un siècle, par le Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul, un homme saint ici. Marabout issu d'une longue lignée de marabouts, il fonde entre autres la Confrérie des Mourides, dont les valeurs premières sont le travail, le respect, le courage et la non violence. Valeurs très positives et qui expliquent certainement la grande stabilité sociale du pays, du moins de ce qu'on peut en voir ici. Mine de rien, Touba est en passe de devenir la seconde ville du Sénégal, et la confrérie des Mourides a une influence énorme dans le pays.

Mais d'après certains locaux, la réalité actuelle est moins rose. Le petit-fils du Cheikh domine la Confrérie d'une main de fer et possède une puissance qui rivalise avec le président. Se faisant construire des palais et roulant en limousine, il est à même d'influencer les élections (notamment de forts doutes pèsent sur la réélection de Wade, le président actuel : le Cheikh ayant déclaré voter Wade, lequel est mouride, il savait que 60% de la population le suivrait) Et il est vrai que tant de fidélité fait peur. En fait de "cotisations" dont parlaient les marchands, il semble que cela ressemble plus à une immense secte, dévouée corps et âme à leur guide. Je n'irai peut-etre pas, finalement, à cette fête religieuse en l'honneur du Cheikh.

Bref, après cette petite digression, je reprends le cours des évènements... Si je perds la chronologie, je ne pourrai plus jamais m'y retrouver ! L'après midi de ce dernier jeudi est surpris par une coupure d'électricité. Normal, elle vient d'être rétablie dans un autre quartier de la ville. Pendant que beaucoup dorment, je prends des notes, je lis quelques passages de Nicolas Bouvier, j'écoute avec décontraction la musique de Laurent Korcia. Grand moment.

Binta, une de nos élèves du soir, qui ne peut prendre son cours par la faute de cette satanée coupure - heureusement que je m'étais levé à 7h pour taper, le plus vite possible, un cours extrêmement détaillé pour Internet - nous annonce fêter ses 20 ans lundi prochain. C'est aujourd'hui d'ailleurs, nous lui avons acheté un grand gâteau tout beau, ainsi que des tongs roses (!) que nous avons pris soin d'envelopper dans un emballage cadeau presque parfait. Je pense qu'elle était contente, puisque elle nous invite à passer chez elle ce soir. On verra, ou plutôt, Inch'Allah comme j'ai pris l'habitude de le dire ici, car d'après Arona le quartier n'est pas très sûr. En fait d'ailleurs, nous n'y sommes pas allés.

Normal, nous avions prévu une partie de Shadowrun pour ce soir et les prochains. C'est un jeu de rôle futuriste pratiqué par Alexis et son pote Julien, un garçon vraiment sympa que nous avons d'ailleurs rencontré samedi dernier. Il faisait du service, pour aider, au Flamingo, la piscine-boîte d'ici. Il a fini 7 fois tout habillé dans la piscine, quant à moi cela faisait longtemps que j'avais craqué et sauté en caleçon. Même si mon premier saut a failli me déshabiller tout à fait.

Une sacrée ambiance à ce début de soirée, certainement parce que Alexis s'employait à envoyer à peu près n'importe qui autour de la piscine à l'eau, habillés ou pas. J'y rencontre à nouveau Anne (en fait, Anne-Julie) et prends, cette fois, son numéro. En espérant que peut-être, si je me retrouve à nouveau désœuvré pour sortir, j'aie une parade ! Après la piscine, nous ont quittés Rémy et Adrien, respectivement pour cause de luxation d'épaule et de sommeil. Nous partons pour l'Iguane. Je sais que j'y retrouverai Anne. Julien nous accompagne, nous nous y essayons à ses chorégraphies personnelles, le jeune homme est excellent danseur ! Pas si étonnant pour ce garçon qui a commencé à travailler dans les boîtes depuis l'âge de 14 ans... si j'ai bien compris ! Enfin, une vie un peu brouillonne mais qui semble avoir été bien remplie.

Anne arrive ensuite, avec son ami l'expat' Bruno, qui me raconte des choses justement sur... la vie d'expat'. Intéressant mais je vais pas tout déballer ici, ça reste des brèves de comptoir. Surtout qu'il paraît que je parle déjà trop. Et puis aujourd'hui, je change de style : je ne m'applique pas, j'automatise. Nous quittons l'Iguane, et tentons la Chaumière. Un peu plus ennuyeux, mauvaise musique, chaleur, trop de population... On essaye de revenir. Entre temps, j'ai énormément discuté avec Julien, tandis que Léonor se faisait une fois de plus engréner, cette fois par Ousman - un autre ami d'Alexis débarqué du Flamingo -, que JB s'endormait tranquillement sur le canapé et qu'Alexis ne trouvait rien de mieux à faire que de dragouiller amicalement Anaïs.

On se dit que finalement, on aurait peut-être dû aller autrepart. Mais une fois JB hissé dans le camion, on trouve le Laser fermé, l'Iguane fermé, et après un court passage à cette boîte -atroce- qu'est le Biblos, on va se faire des pâtisseries au Délices du fleuve. On rentre enfin, il était temps ! Devant la maison, un imam glapit les versets de 5h30 du matin. On a quand même réussi à éviter la plus grande partie de la "grande nuit religieuse en l'honneur de cheikh pas quoi" qui se tenait... dans la rue en face et le mariage multiple qui durait depuis la toute matinée, chez le voisin. Une nuit bien remplie. Bien que je vide mes tripes au petit matin... J'ai encore et toujours du mal à supporter les grandes quantités de bière, heureusement que je me rattrappe en général aussi sec avec de gros repas. L'appétit va toujours, tout va bien.

Cela dit, la fatigue essaye de s'accumuler, cela dit elle me tombe dessus la journée et décide de repartir la nuit venue. Nous avions erré ce jour-là -Samedi, donc, je resitue- dans le parc de la langue de Barbarie, accompagnés par Arona et le chauffeur, Moussa -lequel avait déjà conduit le groupe de Juillet à Dakar. Nous y avons vu quelques antilopes, des tortues de terre, qui justement s'enterrent dans des terriers comme moulés autour de leur carapace, et des Oryx, espèce d'antilopes dotées de cornes immenses. Nous y avons dégusté des figues de barabarie à même le cactus, enfin du moins j'essayais d'en récupérer un maximum depuis que le guide avait annoncé que c'était comestible.

Comblés d'épines très fines, ces satanés fruits. Mais pas mauvais au goût, il faudra que j'essaie de trouver une bouteille de jus de ces fruits-là pour résoudre une antique histoire de jus de cactus ! Nous partons ensuite vers un autre parc, un peu déçus de n'avoir pas vu de singes, et y attendons un piroguier pour nous faire traverser le fleuve Sénégal et atteindre la véritable langue de Barbarie, de l'autre côté, après avoir fait le tour d'une "ile aux oiseaux" sur le fleuve, suivi par de petits poissons sauteurs argentés. La langue de barbarie est à cet endroit, très fine. Tout au plus 50 mètres de large, sur laquelle poussent des filaos et vivent de formidables armées de petits crabes rouges, crabes d'eau douce. Bien plus mince que le fleuve et coincée entre ce dernier et l'océan. Après la baignade dans les rouleaux de la mer, nous avons ramassé des coquillages de cet endroit, qui n'existera peut être plus d'ici peu de temps.

Deux effets le menacent : le réchauffement climatique qui, en ne faisant monter les eaux que de 50 cm suffirait à totalement annihiler l'endroit, et l'embouchure artificielle creusée en amont de Saint Louis pour dégorger le fleuve, embouchure de quatre mètres à son ouverture, 500 mètres de large le lendemain, et pas loin du kilomètre aujourd'hui. En s'agrandissant, elle grignote toujours plus de ce fragile endroit.

Nous nous baignons à nouveau, dans le fleuve cette fois -qui eût cru que je le ferais un jour !- pour nous débarrasser de tout ce sel. Nous rentrons, cette fois sans se faire stopper par un militaire à l'entrée... "On arrête Sahel, mais pas le vieux Moussa", me souffle le chauffeur.