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Victor

L'usage du monde

August 04, 2008 - Victor

J’ai perdu la dernière version de ce texte, qui risque donc d’être moins fouillée que ce que j’aurais voulu, mais ici la mémoire me joue des tours…

Titi est assez stricte sur ses règles de vie. Il faut notamment arriver, si possible, à l’heure aux repas. Le premier groupe l’ayant certainement un peu échauffée sur ce point, elle en est arrivée à adopter une solution de son cru : obliger le dernier arrivé à ingurgiter un « dessert surprise ».
Je partage celui d’Ugo un soir, et en suis quitte pour une croquette à la viande servie avec du lait chaud sucré. Hier, c’était un « sow », sorte de Yop, mais salé à l’extrême… Clairement immangeable, sous peine de détruire ad vitam aeternam le peu de flore intestinale qui survit à notre cuisine pimentée. Bien heureusement, la bière est au rendez-vous pour faciliter la digestion des choses trop inacceptables.

Arona propose, depuis quelques jours, des allers à la pêche, avec les pêcheurs du coin, ce qui ne manque pas. Mon tour viendra dans les prochaines semaines, lorsque j’en formulerai la demande. Mais il est vrai qu’en ce moment, avec le premier groupe à former, nous sommes plutôt débordés par le travail et notamment la préparation de cours suffisamment clairs pour ne pas avoir à absolument tout répéter (quoique…) et suffisamment longs pour que les immanquables surdoués de la classe ne finissent tout en quelques clics. Tout cela fait que nous nous levons depuis une semaine une bonne heure à l’avance afin de prépare avec acharnement avant le début du cours, tels des sportifs concentrés sur leurs claviers, un ou deux nouveaux cours & exercices pour la journée.

La pêche, d’ailleurs, tout le monde y réagit différemment, et les expériences diffèrent. Pêche bonne pour Ugo, mauvaise pour Jules, et catastrophique pour d’autres. Le mal de mer guette dans ces pirogues en forme de V, plus que malmenées par les courants de l’Océan. Ici, c’est un ennemi d’autant plus fort que nous sommes non loin d’une embouchure naturelle et une autre artificielle. L’eau circule et le fait savoir.

Notre première évaluation se passe sans trop d’encombres. Le matin, les jeunes nous surprennent par leur vivacité. Une jeune fille notamment, Aminata, se démarque en terminant tout, de façon impeccable, 30 minutes avant la date limite. Personne ne devait égaler cette performance par la suite ; quant à elle, elle ne cesse de nous impressionner durant chaque séance. Nous en sommes d’ailleurs à préparer des questions bonus, de plus en plus nombreuses et difficiles, pour occuper les gens trop rapides… Une assurance fatigue qui paie. Aucune personne ne reçoit de note inférieure à 10, il y a une demi-douzaine entre 17 et 20. Le reste s’échelonne.

Youssoupha, un ancien élève de Cheikh Touré, qui aujourd’hui fait un peu partie des murs (il dort dans les salles de cours) obtient 15. Ce que nous ne savions pas, c’est qu’il devait perdre sa mère quelques heures après sa sortie d’évaluation.
Arona me raconte que ce genre de choses est fréquent ici ; en particulier, que les 4 absences que j’ai pu avoir parmi mes élèves durant toute cette semaine étaient toutes dues à des décès de proches. Ainsi va la vie…
Le soir, nous décidons (enfin !) de sortir.
En amoureux de la nuit africaine, chaude et épicée, je me languis depuis le début de la semaine de n’avoir pas traîné à nouveau dans les repaires de nuit des habitants. D’ailleurs, le jour précédent, je me suis aventuré seul dans les rues, pour au moins goûter en solitaire à cette ambiance. Je me fais accompagner, vers le Sud de l’île que je visite pour la première fois, par deux talibés sympathiques. Nous marchons silencieusement le long des rues bordées d’hôtels pour toubabs, caractéristiques de cette zone de Saint-Louis.

Les talibés… Ces nuées de gamins, confiés à leur naissance par des parents trop pauvres à des marabouts, se retrouvent pour la plupart d’entre eux dans un état de dénuement complet, enchaînés à leur « maître », obligés de ramener par un quelconque moyen toujours plus d’argent à la maison.
Le gîte et couvert, l’éducation religieuse prétendument offerts par les marabouts se traduit le plus souvent par des jeunes sans attache, sans espoir et en guenilles, avec de bien maigres chances de se trouver une place en grandissant. A croire qu’ils disparaissent. La sonnette d’alarme tirée par l’ONU, face à ce scandale humanitaire, n’a servi à rien et les talibés s’inscrivent dans le décor comme situation normale, disparaissent de notre champ de vision, avant, certainement, de disparaître tout à fait. Le pire moyen de les aider serait, en effet, de leur donner quelque chose…

Excursion, ce Week-end : le désert de Lom Pul, un petit désert de 18km carrés, avec ses magnifiques dunes de sable blanc et noir. Voyage obtenu grâce à l’intervention d’Oumar, qui a négocié pour nous des prix « bougnouls », i.e. noirs, en Wolof. Ici, le terme décrit la couleur ; on sait ce qu’il est devenu en France. Le prix bougnoul se situe généralement entre 4 et 6 fois inférieur au prix toubab ; avantageux, n’est-ce pas ?
Ainsi, le voyage prévu compte : aller (150 km), guide, déjeuner, dîner, petit déjeuner, nuit au campement sur le site et retour… pour 15 euros chacun.

Après un pique-nique-baignade dans l’océan –enfin une plage impeccable- nous filons en camion 4x4 sur la plage à marée basse, le long de l’eau. Avant que le radiateur de ce dernier ne rende l’âme, nous nous sommes suffisamment rapprochés pour que nous puissions arriver au campement à pied. Notre guide, Alfred, est d’une sympathie rare et nous offre systématiquement des bières avant de s’embarquer dans de longues discussions sur le Sénégal ou la France, de façon suffisamment douée pour faire remarquer les penchants culturels de l’un ou l’autre bord. Les femmes, la conversation, les réactions, le temps… Presque tout diffère, avec des nuances subtiles qu’il n’est pas si simple d’appréhender au premier abord.

Nous dînons et dormons dans un campement fait de tentes mauritaniennes meublées avec goût, équipés de douches d’extérieur exotiques mais surprenantes de modernité et d’efficacité pour l’endroit, sommes servis par de très agréables personnes et poursuivons la soirée sur le sable.

Un groupe de Sénégalais y a déjà préparé un grand feu et amené des instruments de percussion locaux. Il nous entraînent dans la danse, et ce fut là la plus belle démonstration de m’balax qu’il m’ait été donné de voir pour le moment. S’ensuit une séance de blagues à laquelle nous nous distinguons par notre mutisme… Comme d’habitude en France, on a l’esprit d’escalier. Impossible de trouver le bon mot, la bonne répartie au bon moment.

Après le petit déjeuner, des balades en chameau ou dromadaire sont proposées, à laquelle je ne prends pas part. Trop d’attente. Et puis le « vaisseau du désert » fait endurer pendant quelques temps encore la chaleur écrasante, dont j’ai à ce moment-là les séquelles sur une grande partie du corps, bien que recouverte d’une couche de sable mêlé de sueur. Nous finissons par partir, non sans que Léonor n’écope d’une énième proposition de mariage. Ici, c’est comme ça : les gens sont au courant de phrases-type, de conversations-type avec les toubabs. Remarquons d’ailleurs que nous n’accepterions, en France, jamais ne serait-ce que le centième de leur « racisme ». Notre qualité de blancs nous est rappelée des centaines de fois par jour. Léonor donc, s’accoutume à des conversations du type : « Bonsoir ! Comment ça va ? Regarde ce que je fais, juste pour le plaisir des yeux ! Les sénégalais, ils sont collants comme les mouches mais pas piquants comme les moustiques ! » etc. etc., jusqu’au moment où l’on lui glisse un numéro de téléphone dans la main, en lui promettant le grand amour.

Le retour en double pick-up à six places chacun est plus long qu’à l’aller. Nous traversons de nombreux petits villages où, si nous nous arrêtons pour une quelconque raison, l’aimantation fonctionne suffisamment pour que tournent autour de nous des dizaines de vendeurs de choses diverses. On approche finalement de St Louis, où un faux militaire fait semblant de nous arrêter, de confisquer le permis des chauffeurs, etc. Ces derniers s’écroulent de rire à chaque phrase du soi-disant militaire, qui finit par nous laisser partir, comprenant qu’il est démasqué.
Une dernière rue et nous sommes arrivés. Les vendeurs courent déjà après le convoi.

Ce soir, nous irons au Papayer, une boîte de nuit plus lointaine que les autres, tout au bout de la langue de sable de Guet N’Dar, où se tient une « soirée antillaise » . Alexis souhaite nous y emmener depuis longtemps, sans succès avec le groupe de Juillet.
Nous tentons notre chance. Après une courte sieste, qui ne nous laisse que bien peu le temps de se reposer, nous partons tous ensemble en camion à l’endroit en question. Nous sirotons des Max Power sur la route, boisson locale qui ressemble au Red Bull, a le goût et l’odeur du Red Bull, mais est cinq fois plus concentrée en caféine et taurine. Avec cette potion magique, adieu la fatigue, mais bonjour la tremblote.

Une fois confortablement assis dans cet endroit, vide bien évidemment –il n’est qu’une heure et demie du matin- nous passons commande immédiatement, à la fois pour tromper l’attente et satisfaire au contrat engagé en quelques mots à l’entrée … on ne paye pas l’entrée, mais on consomme.
Quelle ne fut pas ma surprise, quand quelques minutes après je vois entrer Bijou, accompagnée comme à l’accoutumée de son frère Joseph et du grand Arona, le politicien.
Du moins, y ressemblent-ils. Je m’approche maladroitement et feins la surprise : « toi ici ? mais c’est super » Effectivement, c’était un peu super d’avoir à présent deux groupes à qui me mêler ; sur ces entrefaites, des flots de gens sont arrivés et la boîte était devenue pleine à craquer. La température est montée immédiatement.
Les DJ’s ici, comme je le vérifie quasiment à chaque fois, tiennent plus de l’ « animateur » de soirée que du véritable DJ. Ils sont là pour « passer de la musique », un point c’est tout. Le MC est, lui aussi, incontournable pour annoncer au micro des réclames inutiles dès qu’il en a l’envie. Une ambiance de fête foraine, ou presque, sauf que là nous en étions au hip-hop. Qui a duré presque toute la soirée d’ailleurs, à de rares exceptions près. Stroboscopes trop persistants, musiques trop répétées, transitions affreuses, MC : malgré tout cela l’ambiance continuait à être festive. Léonor se fait entraîner par bien des gens dans la danse, jusqu’au moment où Arona lui-même lui propose d’aller dehors discuter un peu. Intenables ces gens. Elle lui renvoie un refus sec, duquel il se remet avec dignité. Rien vu, rien entendu, dira-t-on.
On rentre, finalement. Je n’ai plus envie de boire, de fumer, de danser ; on pourrait déjà remplir les bouteilles de demain rien qu’avec ma sueur et ce qu’il en reste dans mes vêtements.

Le lendemain, le premier cours Excel est difficile. Nous tombons tous de fatigue. Et Aminata qui trouve le moyen de finir tous les exercices en une heure… Les autres finiront la même chose en deux jours. Excel se passe finalement. Avec de grandes difficultés. Nous nous promettons de re-taper entièrement ces cours Excel, qui donnent trop de fil à retordre et déséquilibrent la classe : personne n’allait à la même vitesse, et tout le monde avait besoin d’explications. Heureusement, nous commençons les cours Internet avec un peu plus de préparation. Nous débutons avec un petit Quizz. Les élèves manient déjà tous plus ou moins Internet, connaissent Youtube et ont une boîte mail.
Nous voulons leur prouver qu’ils font là une très mauvaise utilisation d’Internet. Le Quizz, proposé d’entrée, pose des difficultés, qui sont résolues le lendemain en cours. Ils apprennent non seulement à faire des recherches sur Google, sans taper entièrement la question posée mais en utilisant des mots-clés, mais aussi à chercher des numéros en allant dans un annuaire téléphonique en ligne, acheter un billet d’avion en comparant les prix, acheter un ipod aux états unis en occasion, retrouver une archive de journal, consulter une encyclopédie, traduire une phrase en russe, imprimer le plan et le parcours entre l’aéroport d’Orly et la tour Eiffel, etc. etc.
Le seul hic, dans cet exercice et ceux qui ont suivi (un jeu de piste en ligne, qui les force à visiter de nombreux sites différents pour y récupérer de quoi faire l’exercice suivant) est que certains élèves préfèrent aller sur un site de jeux vidéo ou de sport, et lire leurs mails tranquillement. Plutôt que d’apprendre à envoyer une photo par mail, ce que quasiment aucun d’eux n’est capable de faire. Après avoir suffisamment fait la police, tant pis pour eux ; demain, c’est l’examen final.

La fête de la fin du camp d'été

Hier d’ailleurs, en rentrant je rejoins Léonor et Rémy sur le chemin ; ils m’avaient attendu successivement à Guet N’Dar, puis sur le pont. Ils y ont rencontré Bijou, qui a pu prendre note de notre nouveau numéro de portable à puce sénégauloise (Orange Sénégal !) et de deux hurluberlus qui discouraient sur l’amitié des peuples.
Un blabla courant pour obtenir de l’argent. En arrivant, un des deux larrons se jette sur moi et m’emprisonne la main : il me raconte sa vie. Il était pêcheur, maintenant il apprend le Coran à de jeunes enfants. C’est cela. En se penchant pour me parler à l’oreille il ne me fait que mieux sentir son haleine empuantie d’alcool. Il finit par me demander des sous. Un vrai muslim celui-là. Au passage, un jeune type essaie de me voler mon iPod en passant, faisant sauter mes écouteurs. De ma main libre, je le hèle : « Bien essayé, bâtard ! » puis j’explique au vieux que chez nous les toubabs, on se fiche bien de la vie des gens, et qu’il ferait mieux de me lâcher la main. Ce qu’il finit par faire. Je récupère Rémy et Léonor, toujours occupés avec l’autre type… On rentre enfin. Ce soir, Jules partira ; Arona arrive avec sa voiture pour les salutations. Alexis propose de la déplacer. Un contrecoup de frein à main plus tard, c’est chose faite : sa voiture, si fatiguée déjà, se retrouve de l’autre côté du coin de la route.

Un gamin fier de son pélican

Ce dernier cours sur Internet m’aura au moins permis de rigoler encore plus avec Aminata. Maintenant qu’elle a récupéré mon mail au cours de l’exercice, elle en profite pour m’envoyer des petits messages bizarres.
Aminata Sarr : On a ecrit au tableau que tu etais à vendre à 25f bon marché conclu tu as juste à me dire les formalités pour le payement je t'amenais chez moi pour que tu fasse le ménange à ma place Victor : tu t'es fait avoir ma pauvre, ne crois pas que je fais le ménage :) Pour les formalités, ouvre un compte en banque sur Paypal, qui te permettra de m'acheter sur eBay aux enchères. C'est ton nouvel exercice, tu avais qu'à pas faire la maligne. Si tu y arrives, tu auras un biscuit mauritanien en cadeau bonus. Aminata Sarr : mon cheri tu me crois aussi bête 25 c beaucou trop dison 5f ca te va tu ne vau pa + Puis modifie encore le tableau de la salle.

A table… on mange la pastèque de la discorde, que Titi avait achetée il y a presque un mois au groupe, et dont la consommation a été chaque fois remise à plus tard : problèmes diplomatiques avec Titi peut-être, qui propose elle-même des desserts, timidité collective d’un groupe trop nombreux aussi pour être en permanence ensemble… ce sera finalement nous qui en profiterons.

Une petite carte pour vous aider !